Auteure : Annie Leroux texte précédemment diffusé dans les Etudes Comtadines

Son enfance

Esprit Joseph Brun ce brillant architecte, ingénieur et entrepreneur (maître d’œuvre) du XVIIIe siècle est né à l’Isle où il a été baptisé le 1er juillet 1710. Ses parents sont Esprit Brun (1661-1752) architecte, et Ursule Furet ; leur mariage a eu lieu en 1686 et ils ont quatre enfants connus : Marie (épouse Delpuech), Marguerite (épouse de l’architecte Diet), Jean Ange (1702-1793) et Esprit Joseph. Les ancêtres Brun sont maçons et maîtres maçons depuis trois générations, les Furet aussi.
Nous ne savons rien de l’enfance d’Esprit Joseph dit Brun Cadet, que nous pouvons imaginer heureuse, près des siens et de la Sorgue, dans cette ville animée et active, d’environ six mille habitants, ville qui sera épargnée par la terrible peste de 1720-1721. Nous aurions aimé connaître le déroulement de sa scolarité : nous sommes sous l’ancien régime, les familles fortunées de l’époque emploient des précepteurs …  il y a des collèges dans les congrégations ,  des collèges jésuites, aussi, réputés dans la région.
A l’école, dans tous les cas, les apprentissages du français, du latin et du calcul étaient primordiaux. La grande difficulté, en calcul, sous l’ancien régime, résidait dans les multiples conversions auxquelles il fallait s’astreindre pour effectuer les moindres opérations, qu’elles soient avec des unités monétaires ou des unités de longueurs, de capacité, de surface, de poids etc…Le système dit métrique n’existe pas encore !
Ayant acquis, sans nul doute et facilement, toutes ces connaissances de base, que devient Esprit Joseph ? Dans le pire des cas, il est apprenti, sous l’autorité d’un maître d’apprentissage pendant une période de 3 à 8 ans ; on peut l’imaginer fréquentant une école de dessin, très en vogue au XVIIIe siècle, et Brun Cadet va exceller, ses œuvres nous le montrent, dans ce que nous appelions, il y a encore quelques années, le « dessin technique » ; ces écoles sont destinées aux apprentis, aux ouvriers, aux artisans et aux artistes. Certes, l’Académie d’Architecture avait été créée en 1671 par Colbert, mais Paris était bien loin pour les Brun habitués à travailler en famille. Nous pensons que, très tôt, Esprit Joseph s’est emparé du compas, de la règle et de l’équerre avec succès !
Les années 1730 – 1760
En 1730, Esprit Joseph Brun a vingt ans ; la ville de l’Isle est peuplée d’ouvriers dont certains travaillent à la journée, de ménagers assez aisés, grâce aux revenus de leurs petites granges, d’artisans et commerçants, de pêcheurs, de quelques riches bourgeois et même de familles nobles aussi. La plupart sont catholiques, mais le quartier juif qui comprend environ quatre-vingt-dix familles (environ 400 personnes )  est assez prospère. Tous parlent le Provençal dans la vie de tous les jours.
La famille de l’entrepreneur l’Islois, Esprit Brun père était spécialisée dans la construction et la rénovation des ponts et des canaux ; avec son gendre Nicolas Diet , Esprit Brun père avait entretenu et rénové en 1728 le pont-aqueduc de la Canaü, qui date de 1540 : deux arches de pierre accolées soutenaient une conduite en bois permettant à l’eau du canal Saint-Julien (XIIᵉ siècle) de franchir le Coulon, même en temps de crues. Cette construction unique en son genre, est inscrite à l’Inventaire des Monuments Historiques depuis août 2011, grâce à la perspicacité de l’association cavaillonnaise Kabellion. E.J. Brun poursuivra cette spécialité du père, auprès duquel il se perfectionna, créant et entretenant à son tour les canaux et ponts de la région provençale.
Premier mariage
En 1736, Brun Cadet épouse Marie Marguerite Franque (1709-1754), fille de l’architecte avignonnais Jean Baptiste Franque (1683-1758), déjà célèbre : on lui doit, entre autres, le très beau château de Sauvan à Mane. La nouvelle épouse apporte une dot conséquente. Les pères des mariés se connaissent bien et travaillent parfois ensemble comme sur le chantier de l’agrandissement de l’hôpital de l’Isle. Nous pouvons supposer que la règle, lors de ce mariage, a été celle de l’endogamie, celle qui veut que l’on se marie dans son milieu religieux, social, géographique et professionnel. Dans un tel mariage, la richesse et la dot avaient leur importance, mais l’éducation et les vertus morales comptaient aussi beaucoup.
Le mariage sera célébré à la paroisse Saint-Didier d’Avignon, où seront baptisés les premiers enfants du couple. Sur les registres paroissiaux de l’Isle ou de Saint-Didier au moins cinq enfants semblent naître entre 1737 et 1741, dont trois décèdent en bas âge ; seules Ursule, née en 1740, décédée en 1809 et Marie Cécile née en 1741 vivront, mais resteront célibataires.

Au début du XVIIIᵉ siècle, le duc de Palerne achète des terrains et des maisons autour de la Sorgue de l’Arquet, dans le centre de la ville et y fait construire un hôtel particulier. Le prix-fait d’Esprit Brun père date de 1727. Le père et ses deux fils ont travaillé sur les plans et les chantiers de l’hôtel et vraisemblablement sur les travaux de la belle maison de l’autre côté de l’Arquet qui, en 1921 deviendra le presbytère et jouxtera la future école, ainsi que sur la très belle maison de campagne  au sud de la ville. L’hôtel de Palerne, dont la façade est constituée de dix travées sur trois niveaux, n’a pas subi de modifications depuis sa construction et l’ensemble est encore harmonieux. À l’intérieur subsiste une petite chapelle, mais le petit théâtre a disparu. Les pièces de séjour sont en rez-de-jardin pour la fraîcheur et ont vue sur la fontaine. À l’étage, un balcon et une terrasse donnent sur l’Arquet. Pour la première fois dans la ville, on construit une vraie salle de bains avec baignoire en marbre.
La belle maison, en face, devenue presbytère sera démolie en 1969 , après la vieille école , et l’endroit deviendra  la place Rose Goudard.
La maison de campagne du duc, située actuellement chemin de Palerme, est remarquable, classique et élégante. Elle a été construite à la même époque que l’hôtel du centre-ville ; Camus et sa famille ont loué cette bastide, durant plusieurs étés, dans les années 1950, sur les conseils de René Char (un de nos anciens présidents de la République y a séjourné aussi). Après la deuxième guerre mondiale, il y avait, dans la grange (ferme) derrière la bastide une petite laiterie où les gens du quartier venaient acheter leur lait.
En 1735, E.J. Brun reconstruit la porte des Frères Mineurs qui s’ouvrait sur les remparts : les travaux durèrent de 1736 à 1741, mais la porte fut détruite en 1831. En 1739, notre l’Islois réalise les plans de l’escalier situé devant l’église de Fontaine de Vaucluse.
En 1740, E.J. Brun propose de construire le pont à quatre arches dit « Pont des cinq eaux » : deux ans après les travaux seront réalisés pour 9500 livres. Cet ouvrage important désenclavait l’Isle vers l’ouest.

Carte postale ancienne du pont des cinq eaux à l’Isle

Les relations entre les deux frères Brun devinrent vite conflictuelles : Jean Ange, qui était infirme et n’avait pas trop bon caractère, était jaloux de la nouvelle notoriété de son frère cadet. C’est probablement pour cette raison qu’Esprit Joseph va partir travailler à Marseille où ses qualités professionnelles seront très vite reconnues et où les commandes afflueront rapidement.
On lui doit, en premier, les immeubles du côté sud de la Canebière, entre le cours Saint-Louis et les rues Paradis et Saint-Ferréol, îlot imposant et riche qui a encore fière allure aujourd’hui. L’architecte n’a guère plus de 30 ans et pourtant les bourgeois marseillais vont lui faire confiance.

Ilôt de Marseille

De 1742 à 1746, il réalisera « l’hôtel de Campredon », à l’Isle, pour Charles Joseph Donadéi de Campredon, riche propriétaire terrien de Velorgues. Après avoir été vendu par les descendants de cette famille, ce lieu fut occupé par différents particuliers et jusqu’en 1903 par les religieuses de St Charles dont l’internat de filles était réputé. La commune l’a acheté sous la municipalité Battini , en 1978. Dans l’étroite rue Molière, le visiteur accède au grand portail qui ouvre sur une belle cour et sa fontaine. Comme dans l’hôtel de Palerne, beaucoup de pièces sont en enfilade. L’escalier, composé de trois volées d’inégales hauteurs, est agrémenté d’une rampe en ferronnerie, très belle, jusqu’au premier niveau. C’est actuellement le musée de la ville, son centre d’art.


Hôtel de Campredon à l’Isle

De 1748 à 1752, Brun Cadet va s’atteler à la reconstruction du Château de Tourreau à Sarrians, pour le compte de la famille Tourreau (le grand architecte avignonnais François de Royers de la Valfenière y avait travaillé au siècle précédent) : le résultat est toujours magnifique

Dans son livre « De la Petite Bastide à la résistance et au Camp de Dachau », le Général Véran Cambon de Lavalette (1923-2014) né à l’Isle, nous parle avec émerveillement des dimanches passés dans le parc du château, avec ses cousins, ses frères et ses sœurs car avant 1941 le château appartenait aux grands- parents de Véran.
De 1749 à 1757, E.J. Brun va effectuer des travaux à l’hôpital de l’Isle qui, en 1685 avait été transféré sur son emplacement actuel. Jean Ange en réalisera la magnifique fontaine de 1766 à 1768. Aujourd’hui, on accède au portail par la place des Frères Brun. Ce portail est l’œuvre du ferronnier Michel Ange Genin qui forgera également la rampe du grand escalier monumental de l’hôpital. Il est à souhaiter que le visiteur puisse, après les travaux de ce début de XXIᵉ s., admirer la chapelle, la pharmacie et les donatifs de l’hôpital. Dans le vestibule, une plaque en marbre honore le travail des entrepreneurs Brun.
Esprit Reboul avait dessiné et sculpté les boiseries de nombreuses chapelles de l’Isle : son fils Joseph, ébéniste également, réalisera aussi des boiseries et la porte de la Collégiale de l’Isle dont E.J. Brun avait dessiné les plans du tambour tandis que Michel Ange Genin, maître serrurier réputé, s’occupait des ferronneries. Ce projet élaboré en 1751 fut terminé en 1759.

« Brun Cadet », comme il est appelé pour le différencier de son frère aîné, vivant à Marseille, remporte en 1756 le contrat pour la création d’une fontaine, place de l’Hôtel de Ville, à Aix-en-Provence dont le sculpteur est l’avignonnais Jean Pancrace Chastel : une antique colonne en granit, ré-emploi tiré des fouilles romaines, est érigée, soutenant une boule entourée d’une branche de laurier dorée. De quatre mascarons gicle l’eau qui symbolise l’hygiène après la peste de 1720.

Les deux mêmes artistes réalisèrent, en 1758, la fontaine de la place des Prêcheurs, toujours à Aix ; son obélisque s’inscrit dans le prolongement d’un socle où quatre lions sont sculptés ; en haut de l’obélisque domine « l’aigle de la raison », aux ailes déployées. L’aigle avait été imposé dans le prix-fait car il est symbole de raison et de justice : la fontaine se trouvait face à l’échafaud, et l’aigle darde son regard vers cet emplacement. Cette fontaine est également un hommage aux personnages importants d’Aix : elle porte une dédicace à Caïus Sextius fondateur de la ville antique d’Aquae Sextius.
Brun Cadet va bientôt affronter deux épreuves : en 1752, meurt son père, un homme simple, honnête, travailleur et talentueux ; puis le 10 juin 1754, c’est son épouse, âgée de 45 ans, qui décède à Peyrolles, près d’Aix. Dans l’acte de décès, E.J. Brun est dit : « architecte entrepreneur du Canal de Richelieu » (mais le canal de Richelieu qui devait amener les eaux de la Durance et du Verdon à Marseille ne fut pas construit au XVIIIe siècle).
Second mariage et retour à l’Isle
En 1760, Esprit Joseph Brun se remarie avec une jeune femme de Peyrolles ; le couple retourne vivre à l’Isle et de cette union vont naître deux filles et un garçon ; seule, Adélaïde, née à l’Isle le 27 décembre 1764, semble avoir survécu. Âgée de 15 ans, elle épousera à l’Isle, le 28 mars 1780, l’architecte parisien Jean Guimet : elle mourra en couches, l’année suivante, à 16 ans.
Remarquons que le premier fils d’E.J. Brun qui se prénommait aussi Esprit Joseph fut baptisé en 1737 et que le dernier de sa progéniture, Toussaint, naquit 29 ans plus tard. De ses huit enfants connus, seules les deux filles de son premier mariage survécurent.
Dans le quartier de la juiverie , E.J. Brun va construire , au milieu du XVIII° siècle (prix fait de 1760) , pour les frères David Aaron et Isaac de Beaucaire un immeuble dont la forme en fer à cheval ou U est très réussie.   » la forme singulière de cet ensemble architectural organisé autour d’une impasse résulte de l’application des règles restrictives interdisant aux juifs de percer des ouvertures du côté de la rue publique. Toutes les ouvertures sont donc tournées vers l’intérieur de la juiverie et leur nombre est nécessaire pour apporter la clarté dans l’ensemble des logements desservis par l’escalier central »  nous dit Roselyne Anziani. En 1778 E.J.signe aussi un prix fait pour un travail sur les murs de la juiverie, les Brun père et fils ont travaillé plusieurs fois dans ce quartier .

A la même époque les travaux initiés par E.J. Brun se poursuivent ou se terminent et d’autres vont débuter : le Conseil de la Communauté de l’Isle souhaite, en 1761, ouvrir un chemin pour aller à Carpentras en passant par Saint-Antoine. Le vice-légat Salviati approuvera le plan et le rapport technique de Brun Cadet à qui il accordera 3000 livres pour réaliser l’avenue et 1500 livres pour la plantation des arbres : il aurait préféré des mûriers, mais on plantera des ormeaux. Le 26 août 1763, le vice-légat recommande de « récompenser l’architecte-ingénieur Brun, pour les soins extraordinaires qu’il a pris à l’occasion de ce cours ». Plus tard, ce cours portera le nom de son initiateur avant d’être baptisé cours Fernande Peyre ! En décembre 2013, cette avenue rénovée a été inaugurée : 250 ans après, on a planté des micocouliers !
Entretien et création des canaux
Nous savons que les Brun se distinguaient dans les constructions des ponts et des canaux : en 1765, comprenant que pour irriguer les terres autour de Cavaillon, le canal Saint Julien ne suffirait pas, E.J. Brun va travailler à la restauration du canal de Cabedan Vieux, qui datait de 1657, puis réaliser le canal de Cabedan Neuf. Dans le même esprit, il trace les plans du canal de Boisgelin qui doit irriguer la plaine de la Crau.
En 1771, Brun Cadet, qui sera qualifié de « visionnaire », a l’idée géniale de tracer un canal d’irrigation pour « l’arrosement des terres du Comtat Venaissin » avec une prise sur la Durance. La carte de son projet est très connue et faisait partie d’un pensum :  » Mémoire sur le projet d’un canal de dérivation des eaux de la Durance et délibération de l’assemblée et des États du Comté Venaissin à ce sujet « . Ce mémoire avait paru si convaincant qu’il avait été imprimé à un grand nombre d’exemplaires.


Plan du canal pour l’arrosage du Comtat – 1771

Mais face à la mésentente des divers villages concernés, tout devint difficile et même irréalisable : le projet de Brun Cadet ne s’est pas réalisé en son temps, mais nul doute que les initiateurs suivants s’en sont inspirés pour une grande part. Durant plusieurs siècles, plusieurs projets se sont succédés : c’est finalement le 12 juillet 1857 que fut inauguré ce canal qui prit le nom de Canal de Carpentras.
En remerciement pour ses recherches et travaux de l’époque E.J. Brun avait été nommé « Ingénieur en chef de la Province » !

Le château Borély
Louis Borély, né à Marseille en 1692, se fixa en Égypte, à Alexandrie où il fit fortune. Vers 1755, il achète des terrains dans le quartier de Bonneveine autour de la propriété de la famille. Du château que Borély projette, un premier plan est tracé en 1767 par l’architecte parisien Charles-Louis Clérisseau. Louis Borély le trouve trop compliqué dans sa conception et le fait revoir et simplifier par un autre architecte parisien, Marie-Joseph Peyre ; un prix-fait du 12 août 1768 atteste que E.J. Brun en sera le maître d’œuvre mais, Louis Borély décède rapidement et c’est son fils aîné qui hérite du projet qu’il fera réaliser. Brun Cadet utilisera la pierre blanche de Fontvieille pour les extérieurs et celle de La Couronne pour l’intérieur. Côté nord, le fronton de la grande façade est orné de deux figures allégoriques représentant le Rhône et la Durance. Au sud, l’entrée principale sur cour donne sur un grand vestibule et un escalier d’honneur ; la décoration est très riche, faite en partie par le peintre d’Aubagne Louis Chaix (1744-1811). On y trouve tout le raffinement des arts en Provence au XVIIIᵉ siècle. La restauration complète et assez remarquable de ce château s’est achevée en 2013. Aujourd’hui, trois musées se partagent les 3850 m² de ce joyau du patrimoine marseillais : musée de la faïence, musée des Arts décoratifs et musée de la Mode.


Façade principale du château Borély

D’autres chantiers à l’Isle
Esprit Joseph n’oublie pas sa ville natale et en 1768 il établit de nouveaux plans d’aménagements de la Charité, à l’Isle ; fondée en 1609, elle avait été reconstruite une première fois en 1680 d’après les plans de Pierre Mignard. Brun Cadet en surveilla les travaux qui durèrent plusieurs années. De 1773 à 1775, il dirigera aussi les travaux de restauration de la synagogue de l’Isle. En 1775, il réalise l’agrandissement du Couvent des Minimes, datant de 1604, et en restaure l’église ; cet ensemble a presque totalement disparu aujourd’hui. Dans le même temps, il tracera les plans de la chapelle de Saint Antoine qui se trouve dans la Collégiale. En 1777, en même temps qu’il réalise l’agrandissement du flanc nord de l’église N-D de Beauvoir à Istres, il accepte le prix-fait pour la reconstruction du perron devant la Collégiale de l’Isle, en pierres de taille.

En 1778, il pose la première pierre de l’église N-D des Grâces à Eyguières dont il est l’architecte ; ce projet, volonté de l’archevêque, était en gestation depuis 1747 et ne vit sa réalisation qu’après tergiversations et querelles sur le lieu et le coût.

En 1783, Brun Cadet fera construire le pont du Campsec, à l’Isle, sur l’ancienne route de Velleron, pour le prix de 173 livres.

Avec curiosité, nous découvrons deux façades mitoyennes du XVIIIᵉ s. qui jouxtent la Collégiale de l’Isle. Toutes deux, érigées en même temps, par le même architecte, E.J. Brun, elles semblent différentes au premier coup d’œil mais avec un peu d’imagination… Nous pouvons les voir similaires, les pierres de soubassement étant identiques, dans la continuité… Nous sommes sur l’emplacement de l’ancien cimetière des chanoines. À cet endroit se trouvait la chapelle des Pénitents Blancs. Une partie de cette ancienne chapelle a permis d’agrandir le moulin de la ville. Aujourd’hui la « salle Brun Cadet », sise dans le coin, nous offre sa belle façade ornée.
Tout contre se trouve dans l’ancien Sextier, le grenier public dont l’aspect extérieur est plus austère. La mauvaise entente avec son frère Jean Ange ressurgit à cette occasion : l’aîné ayant établi un prix-fait à son nom pour concurrencer celui de son frère cadet, mais il fut refusé…


Salle Brun Cadet et le Grenier public

Les années 1780 – 1787
Chez les Franque et les Brun, les voûtes plates et surbaissées sont une spécialité. C’est un particularisme provençal que l’on trouve au château de Barbentane, à l’hôtel de ville de Viviers, dans celui d’Arles et dans le péristyle du cloître de l’ancien Hospice Saint-Louis à Avignon. Avec E.J. Brun, la stéréotomie, l’art de la découpe des pierres, est toujours dessinée et réalisée avec excellence et c’est ce que nous remarquons dans ce qui est appelé son chef-d’œuvre : la salle du Préau des Accoules, derrière la Mairie de Marseille : ancienne salle de l’Académie construite en 1782-83, ancien centre Jésuite, ancien Observatoire. Malgré son âge, près de 70 ans, Brun Cadet n’hésitait pas à faire la route pour honorer les commandes et parfaire sa renommée. Il était « Architecte de la Province »  et de nombreuses villes comme Aix, Apt ou Marseille se référaient à son expérience et à son honnêteté.


Préau des Accoules, crédit photo musée des enfants

À cette époque il est accompagné de son gendre Jean Guimet dont l’épouse vient de mourir en 1781. E.J. Brun souhaite transmettre.
L’escalier de l’Hôtel de Ville de Marseille
Chose surprenante, l’Hôtel de Ville de Marseille ne possédait pas d’escalier entre le rez-de-chaussée et le 1er étage ! Le rez-de-chaussée, indépendant, était réservé à la Loge des Marchands et on accédait au 1er étage par un pont de bois relié à une maison acquise au nord de l’Hôtel de Ville. Ce pont de bois dut être remplacé et c’est E.J. Brun qui en fut chargé en 1786, créant une arcade couverte et voûtée,  » chef-d’œuvre d’harmonie architecturale ». Il fit aussi reconstruire le vaste immeuble, au nord de la mairie dont on peut encore admirer l’escalier.
L’ancien Hôtel-Dieu de Marseille
Maintes fois agrandi et réaménagé, l’ancien Hôtel-Dieu de Marseille*, situé derrière la Mairie, près du Vieux-Port, est un grand ensemble de bâtiments admirablement rénovés. Son architecture d’origine, due à Jacques Hardouin, fut toujours respectée. E.J. Brun est l’auteur des grands escaliers des ailes est et ouest.
* Devenu aujourd’hui l’Hôtel Intercontinental 5 étoiles.
Théâtre de Marseille
Édifié sur les plans de l’architecte Bénard, dans le style néo-grec, les travaux de ce bâtiment ne furent pas terminés, Bénard ayant dû rejoindre la capitale parisienne : c’est à E.J. Brun que fut confiée la fin de la construction en 1787. Ce très bel édifice fut détruit par un incendie en 1913 et remplacé par l’Opéra actuel. Sur ce chantier, Brun Cadet serait tombé d’un échafaudage, se cassant la jambe, accident dont il garda de sérieuses séquelles.
Lors de ces derniers travaux marseillais, E.J. Brun aurait eu du mal à encaisser le montant de ses factures, réclamant sans cesse son dû… Il sera obligé de travailler jusqu’à la Révolution, sur des bâtiments de moindre importance à Avignon, Salon ou Marseille.

Le « château Brun » et la fin d’une vie bien remplie au service de la communauté :
Quand la Révolution éclate, Esprit Joseph Brun revient définitivement à l’Isle auprès d’une de ses filles dans le « château Brun », à l’entrée de l’ancienne route de Velleron, maison qu’il avait fait reconstruire pour ses vieux jours.
Le 26ᵉ jour de pluviôse de l’an 10 de la République, soit le 10 février 1802 du calendrier grégorien, à 10 h du soir, meurt Esprit Joseph Brun dans sa maison des bords de Sorgue.
Certaines réalisations d’Esprit-Joseph Brun ne sont pas toujours visibles, car les escaliers sont souvent intérieurs et les ponts sur la Sorgue sont en partie cachés. Cependant, cela ne diminue en rien leur qualité. E J Brun a conçu des escaliers intérieurs remarquables, comme à l’Hôtel de ville de Marseille, et a travaillé sur des ouvrages hydrauliques importants. Son expertise etait reconnue, même si certaines de ses œuvres restent discrètes.
Trois des monuments dont nous avons parlé, œuvres de Brun Cadet, sont devenus des musées connus et appréciés : Campredon à l’Isle, Borély et le Préau des Accoules à Marseille.
Les frères Brun ont travaillé sur pratiquement tous les monuments de l’Isle du XVIIIᵉ siècle qui sont inscrits ou classés aux Monuments Historiques, leur rendre hommage en leur attribuant une place dans la ville était la moindre des choses , continuer à les honorer aussi .

Bibliographie :
• Études Biographiques sur les Franque et les Brun, architectes, Hyacinthe Chobaut, Mémoires de l’Académie de Vaucluse (1931).
• Notice sur la vie et les travaux d’Esprit Joseph Brun, architecte et ingénieur, André-Marius Garcin, éd. Seguin (1897).
• Illustration du Vieux Marseille, Arnaud Ramière de Fortanier, Aubanel éd.
• Rivages et Terres de Provence, Pastoureau, Homet, Pichard, éd. Barthélemy.
• Évocation du Vieux Marseille, André Bouyala d’Arnaud, Éditions de Minuit.
• Urbanisme et Habitat du Moyen-Âge à la Révolution à l’Isle sur la Sorgue, Mémoire de maîtrise de Simone Marcel-Biays (1991).
• L’hôpital et les hospices de l’Isle sur la Sorgue et l’église de l’Isle sur la Sorgue, Julien Guigue.
• L’Isle sur la Sorgue d’hier à aujourd’hui, A. Payard et M.T. Jouveau.
• Études des composants de la ville de l’Isle-sur-la-Sorgue, ZPPAUP, Mairie de l’Isle sur la Sorgue.
• Eaux claires, eaux troubles dans le Comtat Venaissin, 17ᵉ et 18ᵉ siècles, Patrick Fournier, Presses Universitaires de Perpignan.
• Patrimoine Hospitalier du Vaucluse, Société d’histoire des hôpitaux du Vaucluse.
• L’histoire de l’Isle sur la Sorgue de 1274 à 1791, Albert Ceccarelli, éd. Scriba.
• La juiverie de l’Isle 1791-1828  Roselyne Anziani .

Un grand merci pour les travaux et recherches des services du Patrimoine de la ville de l’Isle sur la Sorgue.

 


Comments

Esprit Joseph Brun (1710-1802) — 3 commentaires

  1. Madame Annie Leroux est membre de Memòri depuis quasiment la création de l’association. Elle en fut trésorière durant de nombreuses années et passionnée par les richesses de notre patrimoine elle a réveillé avec talent le souvenir des personnages qui ont honoré notre ville, tel Esprit Joseph Brun.
    Ses recherches autour de la vie de notre illustre personnage ont été présentées devant nos adhérents en une brillante conférence, nous sommes heureux à ce jour de pouvoir en retrouver la teneur.
    Madame Leroux accepte avec grand plaisir de nous guider afin de nous permettre de connaître les œuvres de notre grand architecte local.

  2. Je ne saurais remercier Annie Leroux de m’avoir fait découvrir l’illustre personnage qu’a été Esprit Joseph Brun. Il est incroyable de voir tout ce qu’il a pu faire construire à une époque où il ne devait pas être facile de se déplacer et où les communications étaient beaucoup plus lentes.
    Maintenant je regarderai ses ouvrages d’un autre oeil.
    En plus elle m’a permis de corriger l’orthographe de l‘Hôtel de Palerne, à noter que l’on trouve aussi le chemin de Palerme cette fois (comme quoi je n’étais pas le seul à faire l’erreur).

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